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    — Je te laisse quelques instants, ma puce. Je vais préparer ton café.

    Elle s'éclipsa vers la petite cuisine de son deux-pièces. Restée seule, j'observais la tapisserie fanée, les meubles bien cirés et les pâles photos du passé. Ce salon était un sanctuaire, où jamais rien ne bougeait. Je m'y sentais en sécurité.
    Ma grand-mère revint bientôt, courbée sur une tasse fumante qu'elle posa sur la table. Puis elle se précipita vers son vieux buffet en chêne, aussi vite que ses rhumatismes le lui permettaient. Une affreuse grimace et un grommellement de douleur accompagnèrent la plongée de son buste vers l'étagère la plus basse. Elle déplaça d'une main malhabile un pot de confiture et un paquet de chicorée.

    — Que cherches-tu ?
    — Le sucre, voyons. J'étais certaine de l'avoir posé là, me répondit-elle, agacée.
    — Mais... je n'en ai pas besoin, Mamie. Je bois toujours mon café sans sucre, tu sais.
    — Ah, bon ! Tu es sûre ?
    — Oui, dis-je. Viens t'asseoir.
    — Comme tu veux, concéda-t-elle dans un soupir.

    Après s'être redressée dans un craquement de vertèbres, elle fit trois pas en boitillant, se laissa tomber sur sa chaise habituelle et poussa vers moi la grande tasse rose qui m'était destinée.
    D'un ton léger, elle me raconta sa dernière mésaventure :

    — Figure-toi que je me suis égarée en allant à la boulangerie ce matin. Un charmant jeune homme m'a remise sur le bon chemin.

    Elle sourit de son étourderie.
    Sans prononcer le moindre commentaire, je bus la boisson brûlante à petites gorgées. Le thé vert était amer. Je l'aurais préféré bien sucré.

     

    Image : Ella Jardmin sur Unsplash

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    Pour lire une autre micronouvelle, cliquez ici

     

     


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    Le loup et la brebis

     

    Dans un vaste pré couvert de rosée

    Des moutons gourmands broutaient l'herbe verte

    Sous l’œil fatigué d'un chien de berger

    Qui surveillait peu la prairie ouverte.

     

    Tapi dans l'ombre du bois à cent mètres

    Un loup derrière un tronc dissimulé

    Observait avec un vif intérêt

    Les ovidés fort occupés à paître.

     

    Une brebis du troupeau s'écarta

    Et du loup naïvement approcha.

    Sous le regard luisant de convoitise

    Elle marmonna contre sa bêtise.

    Le prédateur la fixait, immobile,

    Laissant le désir doucement monter.

    — Messire, allez-vous bientôt me manger ?

    Balbutia l'égarée fort docile.

     

    —  Messire, dis-tu ? rit le prédateur

    Tu parles bien et cela est flatteur.

    Je te laisserai poursuivre ta vie

    Si tu berces à nouveau mon ouïe.

    — Comme il vous plaira, joli damoiseau

    Vous trouverez là, dans ce grand troupeau

    La viande tendre de doux agnelets

    Pour ravir votre délicat palais.

     

    Le loup silencieux, la détaillant,

    S'attarda sur ses courbes longuement.

    Puis il ajouta l'air intéressé :

    - Je n'apprécie pas les agneaux de lait.

    Ma préférence, j'ose l'avouer,

    Est pour les fessiers bien développés.

    Tourne-toi donc pour que je vérifie

    Tes jambons qui me semblent bien petits.

     

    La brebis fit volte-face et s'enfuit

    Sans se retourner, loin de l'ennemi.

    Il la regarda partir sans regret

    Jugeant son postérieur maigrelet.

     

    Lorsque son estomac lui rappela

    Que venait de s'échapper son repas

    Il se jura de toujours dévorer

    Toutes les proies sans les évaluer.

     

     

    Moralité

    Mieux vaut saisir les opportunités

    Qui se présentent à soi le matin,

    Plutôt que d'espérer des qualités

    Qui charment l'œil mais ne nourrissent point.

     

    Image : Josh Felise sur Unsplash

     

     


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    14 février, 2h45

    Insomnie. Cette date me déprime. Aux journées d'inactivité, il faut maintenant ajouter les nuits sans sommeil. Impossible de dormir tant ça cogite dans ma tête. Ce que je craignais est arrivé. Je suis seul pour la Saint-Valentin.
    Ce n'est pas encore cette année que je vivrai une grande soirée romantique. Nous en avions parlé avec Axelle. Nous avions rêvé d'un dîner en tête-à-tête dans un restaurant trois étoiles, d'un fondant au chocolat épicé, d'une balade en amoureux sur la plage, main dans la main. Les vagues auraient salué nos pas. En quelques bonds, ma fiancée aurait pris le large pour virevolter devant moi. J'aurais admiré sa longue silhouette fine dansant sur le sable, cheveux au vent. Vive et pleine d'entrain, libre et imprévisible, comme toujours. Puis elle se serait réfugiée dans mes bras, les joues rougies par le froid, le visage illuminé par un de ces sourires taquins dont elle a le secret.
    C'est loupé. Pour cette fête des amoureux, je suis seul avec mon cafard. Bloqué ici, prisonnier de ma déveine. Les jours s'écoulent, mornes et monotones. Je deviens dingue sans adrénaline, sans action, sans Axelle.
    Cette pénitence prendra-t-elle bientôt fin ? Une mauvaise étoile, suspendue au-dessus de ma tête, s'obstine à me pourrir la vie. Mon père m'avait prévenu, mes potes mis en garde, mais je n'ai écouté personne et j'ai foncé droit devant moi. En plein dedans. Ça m'apprendra. Englué dans la pétole, auréolé de ma poisse légendaire, je croupis ici, impuissant. Mon voisin de galère a perdu la partie hier. Si près de la quille, c'est bête. Alors je m'accroche pour purger ma peine. Pas le choix.
    Mon quotidien, c'est d'attendre. Attendre l'heure du repas, le coucher du soleil. Espérer un appel pour tuer la solitude.
    De son côté, Axelle déprime et s'impatiente. Elle est trop fière pour l'avouer mais les fêlures de sa voix la trahissent. Ces failles me touchent et attisent mon envie de la revoir. Je veux respirer l'odeur de sa peau, goûter ses lèvres, plonger mon regard dans ses yeux azur. La serrer à nouveau contre mon torse et retrouver les formes de son corps. Je suis en manque. Cette journée va être la pire Saint-Valentin de ma vie, je le crains.
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    14 février, 12h10

    Le vent m'a réveillé à l'aube. Je m'étais endormi à la belle étoile. Lorsque le souffle tiède des alizés m'a caressé la joue, je me suis levé d'un bond, manquant de m'exploser le crâne contre la bôme. J'ai dansé comme un fou sur le pont. Puis j'ai hissé les voiles et mon bateau impatient a repris sa route. Le Pot-au-Noir n'est plus qu'un mauvais souvenir. Nous filons vers les Açores.
    Quand je l'ai appelée, Axelle a sauté de joie devant sa webcam. Dans ses yeux brillait une promesse : elle serait là pour m'accueillir à mon retour. Chaque seconde qui s'écoule désormais nous rapproche l'un de l'autre.
    Dernier au classement, peut-être. Le corps amaigri, les joues rongées de barbe, le visage buriné, sûrement. Mais je vais le boucler, ce tour du monde en solitaire. Pour elle.

     


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    Dans le cadre du prix Saint-Valentin 2018, j'ai publié deux œuvres sur Short Edition :

     

    - un texte court Amère Saint-Valentin

      Le 14 février, la solitude donne le cafard à certains hommes.

     

    - un poème La princesse et le dragon

      Petit clin d’œil aux contes de fée... pour un amour ardent.

     


    Tous vos avis sur ces deux textes sont les bienvenus (ici ou là-bas). 

     

    Édition de mars 2018

    Sur le site de Short Edition, vous pouvez lire les textes qui ont gagné : les lauréats

     


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  • La lauréate du concours Radio France de la micronouvelle a été désignée il y a quelques jours. Vous pouvez découvrir son texte ici : Saudade de Noémie Pereira

    Le thème du concours était : Ensemble.

    Il fallait écrire un texte de 1 000 signes, un défi que je n'avais encore jamais relevé.

    Voici ma micronouvelle :

     

    Lire la suite...


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