• Amère Saint-Valentin

     

    14 février, 2h45

    Insomnie. Cette date me déprime. Aux journées d'inactivité, il faut maintenant ajouter les nuits sans sommeil. Impossible de dormir tant ça cogite dans ma tête. Ce que je craignais est arrivé. Je suis seul pour la Saint-Valentin.
    Ce n'est pas encore cette année que je vivrai une grande soirée romantique. Nous en avions parlé avec Axelle. Nous avions rêvé d'un dîner en tête-à-tête dans un restaurant trois étoiles, d'un fondant au chocolat épicé, d'une balade en amoureux sur la plage, main dans la main. Les vagues auraient salué nos pas. En quelques bonds, ma fiancée aurait pris le large pour virevolter devant moi. J'aurais admiré sa longue silhouette fine dansant sur le sable, cheveux au vent. Vive et pleine d'entrain, libre et imprévisible, comme toujours. Puis elle se serait réfugiée dans mes bras, les joues rougies par le froid, le visage illuminé par un de ces sourires taquins dont elle a le secret.
    C'est loupé. Pour cette fête des amoureux, je suis seul avec mon cafard. Bloqué ici, prisonnier de ma déveine. Les jours s'écoulent, mornes et monotones. Je deviens dingue sans adrénaline, sans action, sans Axelle.
    Cette pénitence prendra-t-elle bientôt fin ? Une mauvaise étoile, suspendue au-dessus de ma tête, s'obstine à me pourrir la vie. Mon père m'avait prévenu, mes potes mis en garde, mais je n'ai écouté personne et j'ai foncé droit devant moi. En plein dedans. Ça m'apprendra. Englué dans la pétole, auréolé de ma poisse légendaire, je croupis ici, impuissant. Mon voisin de galère a perdu la partie hier. Si près de la quille, c'est bête. Alors je m'accroche pour purger ma peine. Pas le choix.
    Mon quotidien, c'est d'attendre. Attendre l'heure du repas, le coucher du soleil. Espérer un appel pour tuer la solitude.
    De son côté, Axelle déprime et s'impatiente. Elle est trop fière pour l'avouer mais les fêlures de sa voix la trahissent. Ces failles me touchent et attisent mon envie de la revoir. Je veux respirer l'odeur de sa peau, goûter ses lèvres, plonger mon regard dans ses yeux azur. La serrer à nouveau contre mon torse et retrouver les formes de son corps. Je suis en manque. Cette journée va être la pire Saint-Valentin de ma vie, je le crains.
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    14 février, 12h10

    Le vent m'a réveillé à l'aube. Je m'étais endormi à la belle étoile. Lorsque le souffle tiède des alizés m'a caressé la joue, je me suis levé d'un bond, manquant de m'exploser le crâne contre la bôme. J'ai dansé comme un fou sur le pont. Puis j'ai hissé les voiles et mon bateau impatient a repris sa route. Le Pot-au-Noir n'est plus qu'un mauvais souvenir. Nous filons vers les Açores.
    Quand je l'ai appelée, Axelle a sauté de joie devant sa webcam. Dans ses yeux brillait une promesse : elle serait là pour m'accueillir à mon retour. Chaque seconde qui s'écoule désormais nous rapproche l'un de l'autre.
    Dernier au classement, peut-être. Le corps amaigri, les joues rongées de barbe, le visage buriné, sûrement. Mais je vais le boucler, ce tour du monde en solitaire. Pour elle.

     

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