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    — Je te laisse quelques instants, ma puce. Je vais préparer ton café.

    Elle s'éclipsa vers la petite cuisine de son deux-pièces. Restée seule, j'observais la tapisserie fanée, les meubles bien cirés et les pâles photos du passé. Ce salon était un sanctuaire, où jamais rien ne bougeait. Je m'y sentais en sécurité.
    Ma grand-mère revint bientôt, courbée sur une tasse fumante qu'elle posa sur la table. Puis elle se précipita vers son vieux buffet en chêne, aussi vite que ses rhumatismes le lui permettaient. Une affreuse grimace et un grommellement de douleur accompagnèrent la plongée de son buste vers l'étagère la plus basse. Elle déplaça d'une main malhabile un pot de confiture et un paquet de chicorée.

    — Que cherches-tu ?
    — Le sucre, voyons. J'étais certaine de l'avoir posé là, me répondit-elle, agacée.
    — Mais... je n'en ai pas besoin, Mamie. Je bois toujours mon café sans sucre, tu sais.
    — Ah, bon ! Tu es sûre ?
    — Oui, dis-je. Viens t'asseoir.
    — Comme tu veux, concéda-t-elle dans un soupir.

    Après s'être redressée dans un craquement de vertèbres, elle fit trois pas en boitillant, se laissa tomber sur sa chaise habituelle et poussa vers moi la grande tasse rose qui m'était destinée.
    D'un ton léger, elle me raconta sa dernière mésaventure :

    — Figure-toi que je me suis égarée en allant à la boulangerie ce matin. Un charmant jeune homme m'a remise sur le bon chemin.

    Elle sourit de son étourderie.
    Sans prononcer le moindre commentaire, je bus la boisson brûlante à petites gorgées. Le thé vert était amer. Je l'aurais préféré bien sucré.

     

    Image : Ella Jardmin sur Unsplash

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