• Vidéo n°5 de Martin Winckler : l'engagement de l'écrivant

     

    On écrit pour soi, parce que ça nous permet d'exister, d'exprimer.

    On écrit pour se montrer aux autres, pour dire qui on est.

    On écrit pour séduire, ou pour se cacher, ou pour séduire en se cachant.

    On écrit pour partager des réflexions, du savoir, des histoires.

    Pour prolonger sa langue, des paroles, une mémoire.

    On écrit le plus souvent sans savoir si on sera lu.

    On écrit beaucoup sur soi, et pour soi. Sur soi quand il n'y a personne d'autre pour nous lire.

     

    Ça devient différent quand d'autres choisissent de nous lire.

    L'éditeur est le premier lecteur, c'est celui qui va défendre le livre. C'est quelqu'un de très précieux, quand il fait bien son travail. Son intérêt, c'est faire connaitre ce texte au plus grand nombre de gens possibles.

    On écrit aussi pour le lecteur que nous sommes.

    Ce qui est reçu par les autres ne relève pas de nos désirs ou de nos intentions. Écrire dans la perspective d'être lu, c'est donc toujours un risque. On peut ne pas plaire, choquer... Le texte ne produit rien de nouveau chez le lecteur, il fait vibrer, résonner, des idées que le lecteur avait déjà. On écrit pour faire vibrer les émotions des autres.

    On écrit aussi parce qu'on aime lire et "faire la lecture" aux autres (être la voix qui lit dans la tête du lecteur). Pour produire des histoires qui seront porteuses de savoir et de réflexion. Posséder le savoir donne des privilèges extraordinaires.

    C'est important pour certaines personnes de savoir qu'elles sont lues (messages qui sont comme une sorte d'autobiographie).

     

    Aujourd'hui, beaucoup de gens peuvent tenir un blog. L'écriture devient une conversation.

    Écrire se fait de manière réflexive, horizontalement.

    On est pas seulement responsable de ce qu'on écrit, on est solidaire de ce que les autres écrivent en réponse à ce que nous écrivons. On est solidaire de ce qu'on a stimulé chez eux.

    Tous les écrivants ont une responsabilité morale. Il faut toujours garder à l'esprit qu'on va provoquer quelque chose chez le lecteur, et ce que l'on provoque, on doit accepter de l'entendre. Pareil que quand on fait à manger à quelqu'un chez soi, qu'il fait un commentaire négatif car il n'aime pas. Ca ne veut pas dire qu'on a mal fait son travail, mal cuisiné ; c'est juste qu'on ne peut pas faire plaisir aux autres tout le temps.

    On peut avoir des commentaires négatifs, mais on ne peut pas contrôler ce que les gens vont ressentir. On peut essayer de l'entendre, pour qu'ils sachent qu'on les a entendus. On leur montre qu'on est leur égal, qu'on peut les écouter. Ne pas l'entendre comme une expression ou un rejet de nous, mais comme une expression de ce que eux ou elles sont.

     

    Écrire un peu, préparer mais toujours être capable d'aller au-delà de ce que l'on a préparé.

     


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  • Vidéo n°4 de Martin Winckler : construire son histoire

     

    Construire une histoire

    C'est construire le labyrinthe dont on se propose de sortir et dans lequel le lecteur va nous suivre pour l'explorer à son tour. Il lui faut reconstituer le puzzle pour comprendre ce qu'est la vérité en ayant associé toutes les pièces.

    L'un des meilleurs moyens d'apprendre à construire une histoire est de regarder comment sont faites les télé-séries : chaque saison est comme un roman dont chaque épisode serait un chapitre. Il faut que le spectateur ait envie de connaitre la suite.

    L'un des moyens employés dans les séries, c'est de découper l'action en plusieurs histoires : histoire A (histoire principale) et histoires secondaires (B, C) qui vont concerner un personnage secondaire pas directement lié à l'histoire principale. On découpe les histoires et on les intercale. On fait ainsi des digressions répétées sur l'histoire principale. On donne 3 fois plus d'intérêt au récit : le spectateur est intéressé par au moins une des trois histoires.

    L'idéal, le plus accompli, est quand les 3 histoires sont interconnectées, comme dans le premier roman de Richard Powers : "Trois fermiers s'en vont au bal".

    Dans ce livre, ABC ABC... = trois récits situés sur 3 plans de narration différents.

    A est un récit à la première personne d'un personnage qui trouve une photo ; B est l'histoire des personnages qui sont sur la photo ; C est un récit à la troisième personne, qui parle d'un autre personnage ; on ne sait qu'à la fin ce que ce personnage vient faire là, on peut alors relier les trois histoires.

     

    Le narrateur : qui raconte l'histoire ?

    Le choix du narrateur peut permettre de raconter l'histoire d'une façon totalement inédite. Dans le roman "La vacation", l'histoire commence par "Tu es en retard" : le narrateur est extérieur à l'histoire ; on ne connait son identité qu'à la fin et cela donne un sens supplémentaire à l'histoire.

    Dans "En souvenir d'André" : on sait qui raconte (le personnage principal : Emmanuel) mais on ne sait pas à qui il raconte, pourquoi il raconte.

    Film "The princess bride" : jeu sur la narration / le livre joue avec les codes de la narration.

    Nouvelle de Boris Vian : "Les fourmis". Le titre semble ne rien avoir à faire avec le contenu... jusqu'à la fin. Idem dans "Le naufrage du stade Odradek" de Harry Mathews.

     

    Des petits bouts qui à la fin forment un ensemble

    Un roman ne doit pas être vu comme un ensemble déjà terminé mais comme un ensemble de fragments. Le travail de l'écrivant : écrire chaque fragment puis agencer les fragments et choisir ceux qui vont participer à la grande image finale (comme les portraits "mosaïques" constitués de plein de petites images). Au fur et à mesure de l'écriture, on peut réviser ce que l'on a écrit, supprimer un chapitre qui nous emmène sur une voie que l'on ne veut pas développer, ou au contraire développer une voie qu'on avait évoquée mais que l'on n'a pas continuée.

    Il faut être modeste et travailler par fragments. Avoir des objectifs réalistes est ce qui apporte le plus à notre travail (image du marathon : commencer par des courtes distances). Écrire beaucoup de petits textes qu'on va ensuite organiser ; ça finira par faire un roman.

     

     

    Exercice 4

    Écrivez en dix lignes un premier résumé de votre histoire, en distinguant trois moments: l'exposition (où l'on met en place le récit), le développement (où le héros vit des péripéties) et la résolution (où la question dramatique du début est résolue). Bien sûr, ce plan sera révisé, revu, lors de l'écriture. Mais cela peut vous aider à découper votre travail d'écriture en fragments. A vous de jouer!

     

    Lisa mène une vie mouvementée : problèmes au boulot, difficultés à communiquer avec ses parents, insomnie, célibat qui lui pèse... Comment sortir de ce sentiment d'être constamment débordée ? Comment retrouver un peu de sérénité... et de sommeil ? Parcourant des magazines féminins, elle lit un article sur le désencombrement et ressent un déclic. Ranger son appartement pourrait-il l'aider à "y voir plus clair" dans sa vie ?

    Lisa se lance dans son grand projet avec l'aide de sa meilleure amie. Elle découvre les sites d'annonces, les dons, tient un stand sur un vide-grenier pour la première fois de sa vie, et fait de nombreuses rencontres. En triant, elle met la main sur des objets qu'elle avait oubliés. L'un d'eux la rend mal à l'aise. La nuit suivante, elle fait un cauchemar où elle se revoit enfant. Elle veut comprendre ce qui s'est passé ce jour-là. Une seule solution : aller parler à ses parents.

    Après avoir rencontré son père, Lisa sait quel est ce terrible secret qui l'étouffait. Son sommeil s'améliore. Elle trouve une énergie nouvelle, qui lui permet de poursuivre son projet. Son appartement devient plus sain, elle s'y sent mieux. Elle revoit un homme rencontré lors des ventes d'objets, se met à faire du sport... et ose s'exprimer pour se libérer de ses soucis de boulot. Finalement, elle fera une action symbolique qui marquera le début de sa nouvelle vie (ce sera la chute de l'histoire).


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  • Adaptation humoristique d'un célèbre conte... A lire sans modération.

     

     

    C'est l'histoire d'une petite fille, d'un loup et d'une grand-mère.

    Un dimanche, la petite fille va chez sa grand-mère pour lui porter un pot de beurre et la galette (l'argent). Dans la forêt, elle s'arrête pour cueillir des fraises des bois parce qu'elle adore ça.

    Soudain, elle rencontre un loup qui aime, lui aussi, les fraises des bois. Ils discutent tous les deux. Le loup se révèle être végétarien, douillet, fumeur, dépourvu de sens de l'orientation, peureux... et blessé. Il a une entorse. La petite fille décide de l'emmener chez sa grand-mère pour qu'il se rétablisse.

    La grand-mère, qui a fort caractère, s'occupe du loup. Elle l'héberge, le nourrit et le fait travailler. Il reprend peu à peu des forces et retrouve confiance en lui.

    Le jour où le séjour du loup se termine, la petite fille vient fêter le départ. En arrivant, elle est surprise de voir des gendarmes devant la maison : ils surveillent l'intérieur en regardant par la fenêtre. Ils lui disent que le loup a dévoré sa grand-mère car il est allongé dans le lit. Il y a un napperon plein de sang par terre dans la chambre.

    Bientôt, une tornade de coups s'abat sur eux. C'est la grand-mère, bien vivante... et très fâchée qu'ils aient écrasé ses salades ! Elle a couché le loup dans son lit parce qu'il s'est fait mal en tombant. Après avoir ramassé des fraises des bois, il est entré en passant par la fenêtre pour faire une surprise et s'est étalé dans la chambre. Le petit napperon rouge contient en réalité du jus de fraise, comme peuvent le constater les gendarmes quand la grand-mère les oblige à goûter.

    Finalement, les gendarmes s'excusent et repartent. La grand-mère, le loup et la petite fille sont enfin réunis autour d'une tarte aux fraises des bois. Ils sont devenus amis et ne veulent plus se quitter. Alors, le loup décide de prolonger son séjour, pour le plus grand plaisir de tous. C'est si doux, une tête de loup !

     


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  • Qu'est-ce qu'une bonne histoire ? (vidéo n°3 de Martin Winckler)

    Il y a des tas de bonnes histoires. Toutes les histoires sont autour de nous : elles surviennent dans la vie avant d'être transposées dans la fiction.

    Le point commun : ça nécessite pour être plausible une construction précise qui retombe sur ses pieds et donne une satisfaction au lecteur ou au spectateur

    This is us : nouvelle série sur la NBC. On ne connait les liens entre les personnages que dans les 30 dernières secondes du premier épisode ; on donne alors la clé qui permet de les unir tous, clé très simple mais que l'on n'a pas vu venir. Quand on connait ce lien, les vies des personnages deviennent bien plus passionnantes. Tout ça est dû à un artifice de construction : 3 ou 4 histoires qui se rejoignent.

    Une bonne histoire : on a envie de connaitre la suite mais on n'a pas envie de la terminer, on veut rester dedans.

     

    Se poser des questions simples :

    - c'est l'histoire de qui ?

    - ça se passe où ?

    - cela va de quel point à quel autre ? On doit savoir d'où l'on part et où on arrive (histoire = transformation, expérience). Il faut un début, une difficulté/un conflit, une transformation ou une prise de conscience (au moins pour le lecteur, le personnage peut ne pas surmonter le conflit, l'histoire se termine alors par un échec pour le personnage).

    La fin doit être connue, doit être excitante pour l'auteur, pour qu'il ait envie d'en retarder le plus longtemps possible la révélation et qu'il ait envie d'inventer toutes les péripéties possibles.

    George Pérec (d'après Raymond Queneau ?) : "Le romancier est un rat qui construit le labyrinthe dont il se propose de sortir".

    Le rat est d'abord l'auteur, et ensuite le lecteur. Un auteur ne peut pas écrire un livre intéressant pour des lecteurs s'il n'est pas lui-même le lecteur qui construit son livre.

    George Perec, la vie mode d'emploi : analogie entre l'art de dessiner, de découper les puzzles (l'auteur) et l'art de reconstituer le puzzle (le lecteur).

    La différence est qu'un livre peut avoir l'air d'être déjà construit. En fait, on ne voit pas tout, il faut lire pour découvrir progressivement l'histoire, pour composer une histoire complète à la fin.

    Une bonne histoire c'est toujours une histoire qui a plusieurs fins attendues ou inattendues. Le lecteur a déjà lu plusieurs livres avant, mais il a envie d'être surpris et de donner sa chance à une nouvelle histoire.

    Pour écrire une bonne histoire, il faut se préoccuper du lecteur qui est en soi. Comment je vais la raconter pour qu'elle me donne envie de la raconter jusqu'au bout ? Créer un mystère (se donner des jalons, les annoncer) puis résoudre ce mystère. Les pistes doivent être explorées ou résolues. Il faut s'en assurer lors du travail de réécriture, supprimer les pistes qui ne sont pas exploitées et n'apportent rien. Ne pas disperser l'attention du lecteur dans des choses qui n'ont pas d'intérêt pour l'histoire centrale.

    Ce qui fait l'intérêt de l'histoire, c'est la manière dont on la raconte. Si on adopte un point de vue atypique, on peut donner à une histoire banale un aspect passionnant.

    Ce n'est pas grave de répéter toujours la même histoire, ou de reprendre les histoires qui vous ont plu et qui ne sont pas les vôtres. C'est comme lors de la transmission orale : ce qui compte, c'est la manière de raconter. On peut entendre plusieurs fois la même histoire sans se lasser si elle est racontée différemment.

    Exercice 3

    Petit exercice de création de puzzle. Dites-nous quel est le personnage le plus fort de votre histoire. Dites-nous quel changement il subit dans votre histoire. Dites-nous quel est son enjeu externe. Puis son enjeu interne. Enfin, résumez votre histoire en nous donnant son début, son milieu, sa fin. Et faites tout cela en une dizaine de lignes ! Au travail !

     

    Désencombrement (nouvelle)

    Lisa mène une vie qu'elle ne contrôle plus quand, un jour, elle lit un article sur le désencombrement. Elle y trouve une motivation nouvelle : ranger, organiser, trier, jeter pour remettre de l'ordre autour d'elle et retrouver son énergie.

    Elle se lance donc dans ce grand projet avec sa meilleure amie. L'exercice est difficile, mais riche (enjeu externe). Elle apprend la persévérance, vit de nouvelles expériences, fait de belles rencontres. Mais un objet, retrouvé au fond d'une boîte, va réveiller de vieux démons. Lisa fait un cauchemar. Au réveil, elle comprend qu'un secret l'étouffe depuis son enfance.

    Finalement, dans un appartement bien rangé, débarrassée des objets anciens et du fatras inutile, recentrée sur l'essentiel, Lisa a pu résoudre son conflit (enjeu interne). Elle a trouvé la force d'aller parler à la personne concernée par le secret, ce qui l'a libérée de ses démons. Elle peut maintenant porter un regard apaisé sur le passé. Elle se sent mieux, prête à débuter une nouvelle vie.


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